Messe chrimale, le dimanche des Rameaux
 
 

Homélie de Mgr Doré

  • Témoins et ministres d'un "Evangile de salut"

Il est à la fois courant et fondé, dans l'Église catholique, de tenir ce qu'on appelle la " messe chrismale ", que nous célébrons en ce moment même, pour l'une des principales manifestations de l'importance et même de la nécessité des ministères ordonnés.

Cela nous apparaît déjà dans le fait que si c'est l'évêque diocésain qui préside la célébration, il est de fait entouré de tous ses proches et habituels collaborateurs : de ceux sans lesquels il ne pourrait pas tenir sa place ni accomplir sa tâche - à commencer par ceux qui sont ses évêques auxiliaires quand il a la grâce d'en avoir ! Cela apparaît ensuite parce que concélèbrent ce jour-là, avec l'évêque et son entourage, un grand nombre de prêtres venus de toutes les régions géographiques et de toutes les fonctions pastorales du diocèse dont il porte la responsabilité. Cela apparaît encore parce que sont conviés et sont présents les diacres, qui représentent effectivement le troisième degré du sacrement de l'ordre.

Cela apparaît enfin dans le fait qu'au cœur de la célébration sont consacrées (ou bénies) les huiles saintes qui seront utilisées, toute l'année qui suivra et à travers tout le diocèse, lorsque seront conférés les grands sacrements du baptême, de la confirmation et de l'onction des malades d'un côté, de l'ordination (de diacres, de prêtres ...et éventuellement d'un évêque !) de l'autre.

1. Autour du Christ Sauveur et Seigneur

Il faut cependant le préciser tout de suite : cette grande " manifestation ", ce grand rassemblement de ministres de l'Église diocésaine et cette consécration des huiles saintes faite en vue de la célébration des sacrements chrétiens, n'ont de sens que dans la mesure où ils se réalisent autour du Christ, notre Sauveur et notre Seigneur, et en référence étroite à lui. Voilà bien pourquoi la première grande oraison de cette messe nous faisait prier ainsi, je vous le rappelle :

" Dieu tout-puissant, toi qui as consacré ton Fils unique par l'Esprit Saint et qui l'as établi Christ et Seigneur, nous te prions : puisque tu nous as consacrés en lui, fais que nous soyons pour le monde les témoins d'un Évangile de salut. "

C'est très clair : ici, tout part bel et bien de Jésus, le Christ, notre Seigneur, et tout se définit bel et bien par rapport à lui. Mais, en nous le rappelant d'emblée avec force, cette oraison ne manquait pas de souligner qu'il y a en réalité deux aspects à considérer dans le Mystère du Christ qu'elle évoque.

D'un côté Jésus est, nous dit-on, " consacré par l'Esprit Saint " comme " Fils unique " de Dieu ; il est lié à Dieu, associé à Dieu, " assumé " en Dieu dira la théologie, et cela vaut pour lui, cela définit qui il est. D'ailleurs notre credo nous fera bien dire dans un instant : " Je crois en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus Christ son Fils unique, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint Esprit,.. "

Mais, d'un autre côté, ce même Jésus Christ nous est dit " établi Christ et Seigneur ". Or ce qui est proclamé ainsi ne vaut plus seulement pour lui et en lui, mais bien pour nous : comme le disait une première fois le passage du prophète Isaïe qui nous était proposé en première lecture, et comme nous avons entendu Jésus lui-même le reprendre,

" L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération annoncée, une année de bienfaits accordée par le Seigneur. "

On voit bien, là, les deux aspects du Mystère du Christ : d'un côté il est tout entier " de Dieu " et tourné vers Dieu dont il est le Fils, et de l'autre il est envoyé vers nous : il est venu " pour nous les hommes et pour notre salut ".

Or tout cela est bien exprimé et se trouve même en quelque sorte résumé dans ce titre de " Christ ", que les croyants donnent à Jésus en le nommant très précisément " Jésus Christ ". Car le mot " Christ " vient d'un verbe grec qui veut dire " oindre ", c'est-à-dire " faire une onction d'huile sainte ", afin d'attribuer une fonction, de charger quelqu'un d'une mission, comme on le faisait dans l'Ancien Testament pour les rois, pour les prêtres et même quelquefois pour les prophètes. De sorte que, quand nous déclarons " Je crois en Jésus Christ ", ou bien, tout simplement, quand nous disons " Jésus Christ ", nous reconnaissons et nous confessons à la fois : 1) qu'il a été consacré par Dieu le Père comme son Fils dans l'Esprit Saint, et 2) qu'il a été envoyé par lui pour le salut de toute l'humanité : pour que nos yeux voient là où la lumière nous fait défaut, pour que nos oreilles entendent là où aucune parole ne nous parvient, et pour que nos pieds puissent marcher sur nos chemins parfois si malaisés, si semés d'obstacles et d'embûches.

Vous le voyez, nous sommes bel et bien réunis autour du Christ, autour de Jésus, que le Dieu tout-puissant a consacré comme son Fils et a établi Christ et Seigneur, pour le salut de notre vie. Tirée de l'Apocalypse de Jean, la deuxième lecture - celle que je n'ai pas encore citée - mettait bien les points sur les i à cet égard, si je peux dire. Elle disait :

" Que la grâce et la paix vous soient données de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts, le souverain des rois de la terre. A lui, qui nous aime, qui nous a délivres de nos péchés par son sang [...], à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. "

2. Tous les chrétiens sont des " consacrés ".

Cela rappelé, il faut immédiatement ajouter le point suivant. Tout aussi bien l'oraison que j'ai citée au début, que les lectures auxquelles je me suis référé par la suite, ne se limitaient pas à parler du Mystère de Jésus Christ Seigneur et Sauveur. La prière continuait en effet ainsi :

" Puisque tu nous as nous-mêmes consacrés en lui, fais que nous soyons pour le monde les témoins d'un évangile de salut. "

Le Mystère du Christ n'est donc pas seulement à considérer en lui et pour lui, mais tout aussi bien dans les effets qu'il a, dans les fruits qu'il peut porter, à la fois en nous et pour nous, mais aussi, par nous, dans les autres :

" Tu nous as nous-mêmes consacrés en lui " [ceci est pour nous] " pour que nous soyons pour le monde les témoins d'un Évangile de salut " [et cela est pour les autres].

Nous découvrons par conséquent que nous sommes "construits" comme le Christ : pour lui-même, il est avec Dieu, il est son propre Fils, tandis que pour nous, il est le Sauveur. Eh bien, semblablement, nous sommes assurément, nous-mêmes, consacrés en lui ; mais, pour le monde, nous sommes envoyés comme annonceurs et témoins d'un Évangile de salut. Ainsi, tous ceux qui croient au Christ, tous ceux qui l'ont accueilli, tous ceux qui vivent de lui, par lui, avec lui et en lui, participent de son Mystère au point de devenir " chrétiens " c'est-à-dire, pour leur part, " Christ ". Car être " chrétien " veut bien dire qu'on est effectivement rendu participant du Mystère du Christ, qu'on est " du Christ ", qu'on est " au Christ ", " Vous serez appelés les prêtres du Seigneur [...], on vous nommera les serviteurs de Dieu ", disait notre première lecture. Traduisons : le fruit du Mystère du Christ est de nous associer tellement à ce qu'il est, que nous pouvons devenir, à notre tour, serviteurs du salut du monde. " Jésus Christ, le témoin fidèle qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang [...], a fait de nous le Royaume et les prêtres de Dieu son Père ", confirmait le passage de l'Apocalypse que nous avions en deuxième lecture. Et pour que, là aussi, les points soient bien mis sur les i, la préface nous fera chanter tout à l'heure : " C'est lui, le Christ, qui donne à tout le peuple racheté la dignité du sacerdoce royal. "

On ne saurait, une nouvelle fois, être plus clair : tous les croyants, tous les fidèles, tous les chrétiens sont participants du Mystère du Christ Sauveur et Seigneur. Tous, ils sont associés au Christ, sanctifiés dans le Christ. Ils sont par conséquent tous consacrés afin d'être " pour le monde les témoins d'un Évangile de salut ".

3. La spécificité du ministère ordonné

Parmi les chrétiens cependant, précisera la suite de notre préface, certains sont appelés à être consacrés non seulement comme témoins mais proprement comme ministres, ministres par et pour les sacrements de l'Église. Après avoir dit en effet : " C'est lui, le Christ, qui donne à tout le peuple racheté la dignité du sacerdoce royal ", la grande prière poursuivra ainsi : " C'est lui qui choisit, dans son amour pour ses frères, ceux qui, recevant l'imposition des mains, auront part à son ministère. "

Tous les chrétiens sont certes appelés à être témoins de l'Évangile de salut, mais parmi eux certains sont destinés à en être proprement ministres. La préface ajoutera du reste :

" [Ces derniers] offrent en son nom l'unique sacrifice du salut à la table du banquet pascal ; ils ont à se dévouer au service de ton peuple pour le nourrir de ta parole et le faire vivre de tes sacrements ; ils [ont à être] de vrais témoins de la foi et de la charité, prêts à donner leur vie comme le Christ pour leur frères et pour toi. "

S'il en va ainsi, si donc " l'unique prêtre de l'alliance nouvelle et éternelle [...] a voulu que son unique sacerdoce demeure vivant dans l'Église " par des ministres qu'il envoie pour le représenter après les avoir eux-mêmes plus spécialement consacrés en les marquant d'une onction particulière (et " par l'imposition des mains "), on peut comprendre que, au jour où l'on célèbre cet " unique prêtre " qu'est Jésus Christ, ceux qui ont pour mission de continuer son ministère soient invités à reprendre la vive conscience du lien étroit qui les unit à lui. Et l'on comprend par conséquent qu'ils soient invités ce jour-là à redire solennellement leur attachement à celui qui les fait ainsi prêtres et dont ils sont les ministres : qu'ils soient donc invités à renouveler leur engagement de marcher à la suite du Christ, à redire leur promesse de le servir, de l'annoncer, de le célébrer dans son Mystère, en s'efforçant de le laisser imprégner et modeler toute leur vie. C'est bien pourquoi je m'adresserai dans un instant à tous les prêtres présents pour les inviter à renouveler la promesse qu'ils ont faite d'être, en effet, par leur service et par l'ensemble de leur vie, les témoins du Mystère du Christ en en étant précisément les ministres.

On peut comprendre du même coup que, depuis qu'a été restauré avec le diaconat le troisième degré du sacrement de l'ordre, les diacres soient eux aussi invités, pour leur part et à leur titre propre, à effecteur pareille démarche, et c'est pourquoi je me tournerai vers eux en un deuxième temps, les appelant à renouveler leurs propres promesses. Et l'on comprend même, enfin, que toute l'assemblée des fidèles présents, témoin de l'engagement renouvelé de ses ministres, soit invitée à prier pour que ceux-ci soient trouvés fidèles dans l'accomplissement au jour le jour de leurs tâches respectives dans l'Église : évêque, prêtres et diacres.

4. Les sacrements de l'onction, et spécialement la confirmation

J'ai dit d'abord que et pourquoi cette célébration de la messe chrismale nous rassemble autour du Christ " Oint " et " Messie " de Dieu, que nous reconnaissons comme le Fils de Dieu, notre Seigneur et notre Sauveur. J'ai dit aussi que ce Christ, prêtre unique et universel, a voulu s'associer des ministres ordonnés pour que son propre ministère, son propre sacerdoce, " reste toujours vivant dans l'Église ". Mais j'ai dit entre-temps que, sans devenir pour autant ministres ordonnés, tous les fidèles du Christ, tous les chrétiens, tous ceux qui sont " au Christ " et " du Christ " sont eux-mêmes associés, à leur place, à son sacerdoce royal et prophétique, pour être eux aussi consacrés dans le Christ, pour devenir eux aussi " témoins d'un Évangile de salut ".

Je veux maintenant souligner que cela signifie que tous les fidèles du Christ, tous les " chrétiens " - et donc chacun et chacune de vous, Frères et Sœurs - sont eux-mêmes marqués de l'onction, oints de l'huile sainte. De même que le Christ est oint dans l'Esprit Saint d'une manière tout à fait unique pour être Seigneur et Christ, de même que les prêtres et les diacres sont marqués de l'onction d'huile sainte afin d'être consacrés pour (et à) l'accomplissement de leur ministère propre, de même chaque fidèle croyant se voit aussi oindre d'une onction sainte afin qu'il puisse, en tant que " chrétien ", tenir sa propre place dans l'Église et dans le monde. Baptême, confirmation, onction des malades : tels sont les sacrements de l'Église qui marquent les croyants d'une onction d'huile sainte afin, tout à la fois, de les " désigner pour " et de les " rendre aptes à " tenir leur place et remplir leur mission ecclésiale particulière, parmi leurs frères en humanité. Je vais justement bénir ou consacrer dans un instant les saintes huiles qui seront nécessaires au don de ces sacrements dans tout notre diocèse pendant toute l'année qui nous sépare de la prochaine messe chrismale.

Or il se trouve, et vous le savez bien -je le rappelais du reste dès le début de cette célébration -, que dans notre diocèse, nous avons engagé, sur le sacrement de la confirmation, une réflexion de fond qui doit culminer (avant sans doute une nouvelle relance) dans un grand rassemblement prévu à Colmar au jour de Pentecôte. Eh bien, de même que je me suis adressé tout à l'heure aux prêtres et aux diacres, dont la présence en grand nombre me réjouit tellement aujourd'hui, de même je voudrais m'adresser semblablement, maintenant, aux futurs confirmands qui sont ici...en pensant d'ailleurs, bien sûr, à tous ceux qu'ils représentent parce que, comme eux, ils se disposent à recevoir bientôt le grand sacrement de la confirmation. En même temps, je voudrais m'adresser également à leurs accompagnateurs également présents ici - l'un d'entre eux nous a du reste, tout à l'heure adressé la parole -, et saisir l'occasion pour leur exprimer, à tous et à toutes, la reconnaissance de l'Église pour leur beau service en son sein.

Aux uns et aux autres - futurs confirmés et fidèles accompagnateurs -, je veux dire que le sacrement de la confirmation qui sera conféré par le saint chrême que je consacrerai tout à l'heure, tient dans l'Église une place tout à fait considérable pour la raison suivante : parce qu'il permet aux chrétiens qui le reçoivent d'être pleinement associés au témoignage que l'Église tout entière est appelée à rendre à l'" Évangile du salut " et, par là, à prendre leur place dans le Mystère du service du salut du monde. Le sacrement de la confirmation donne en effet la lumière et la force du Christ pour s'impliquer dans une telle œuvre et pour l'accomplir. Il répand dans le cœur des baptisés qui le reçoivent l'Esprit de Jésus, qui leur apporte à eux-mêmes à la fois douceur et force, et leur donne pour les autres capacité d'agir et force de témoigner.

5. Le fort symbolisme de l'huile sainte

Reste maintenant à souligner que le symbolisme de l'huile sainte et de l'onction que l'on fait avec elle est très parlant pour suggérer ce qu'opéré l'Esprit Saint dans nos cœurs et dans nos vies. Vous le savez bien en effet, l'huile et les crèmes que nous employons pour " traiter " notre corps ont plusieurs effets tout à fait significatifs.

Lorsque les athlètes s'enduisent d'huile et que, par leur " manipulation ", les masseurs font en sorte que cette huile imprègne de fait tout leur corps, il en résulte pour leurs muscles beaucoup de souplesse, beaucoup de force pour la compétition qui les attend. Eh bien semblablement, pénétrant en notre cœur, l'Esprit Saint nous permet d'être capables d'une vraie souplesse dans la conduite de notre vie et dans les luttes que nous pourrons être appelés à mener.

L'huile ou les crèmes que l'on applique sur son visage ou sur son corps pénètrent en profondeur les tissus sur lesquels on les répand, mais en même temps elles rayonnent aussi à l'extérieur. Eh bien de même, l'Esprit pénètre le profond de notre cœur mais nous " équipe " du même coup pour être des témoins rayonnants vers l'extérieur.

L'huile est enfin le symbole de profusion et de générosité, d'autant qu'elle répand largement tout alentour un parfum d'agréable odeur. Eh bien de la même manière, celui qui est poussé par l'Esprit du Christ, celui qui se laisse pénétrer par l'Esprit du Christ, peut, par sa générosité, développer un large rayonnement à l'extérieur et répandre ainsi à son tour, comme dit saint Paul, la " bonne odeur du Christ ".

* * *

Le moment est venu maintenant de m'adresser aux prêtres, puis aux diacres, en leur demandant de manifester leur intention de continuer à être au service du Mystère du Christ pour le salut du monde. Aussitôt après, je procéderai à la bénédiction des saintes huiles : je me réjouis, chers Amis qui êtes là au premier rang, que ces huiles saintes soient bientôt employées pour conférer à chacun de vous le grand sacrement de la Confirmation.

Pendant un instant de silence, je vous invite maintenant, avant que nous poursuivions cette célébration, à méditer ce qui sera notre dernière prière - vous verrez qu'elle résume bien le sens de toute notre célébration - :

" Nous t'en supplions Seigneur, toi qui refais nos forces par tes sacrements, donne-nous d'être au milieu des hommes un signe qui les attire vers le Christ. " Amen.

+ Joseph Doré
Archevêque de Strasbourg

 
     
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Assises de la Confirmation - Eglise catholique d'Alsace