Confirmation et initiation chrétienne : Réflexions théologiques
 
 

L'Eglise en Alsace n° 2 - Février 1993

Le 17 septembre 1992 a eu lieu, à l'Archevêché de Strasbourg, une réunion des confirmateurs du diocèse. Les expériences dont ils ont fait état montrent que le sacrement de la confirmation garde une grande importance dans la vie des communautés chrétiennes. Le sérieux de la préparation pastorale et liturgique en atteste au premier chef. Si la question de l'âge auquel doit être célébrée la confirmation reste débattue, c'est bien avant tout le signe de ce que le sacrement de l'Esprit est un sacrement de la foi. Comme tel, il se situe en dehors du cycle des « sacrements saisonniers » (baptême, première communion), où l'initiation chrétienne se conjoint plus pu moins avec l'intégration sociale et culturelle. Autre indice d'une bonne maturité du sacrement de la confirmation, la communauté des responsables de la catéchèse est toujours présente et active. Elle s'appuie sur une documentation pédagogique dans l'ensemble satisfaisante. Toutefois, on note, ici ou là, une trop grande brièveté de la formation des confirmands ou une disponibilité limitée de l'un ou l'autre animateur. Quelles réflexions le théologien peut-il ajouter à ces constats ? Après avoir rappelé l'élément central de toute théologie de la confirmation, à savoir l'Esprit Saint, nous énumérerons quelques dimensions essentielles de la confirmation, avant de conclure sur des éléments propres d'une théologie de ce sacrement.

La confirmation, sacrement de l’Esprit Saint

Après avoir parlé des baptisés, Vatican II rappelle : « Par le sacrement de confirmation, leur lien avec l'Église est rendu plus parfait, ils sont enrichis d'une force spéciale de l'Esprit Saint et obligés ainsi plus strictement tout à la fois à répandre et à défendre la foi par la parole et par l'action en vrais témoins du Christ » (LG 11). Le lien de la confirmation avec le baptême est largement mis en évidence, tant dans le rituel que dans la catéchèse préparatoire. La question demeure cependant de bien distinguer les deux sacrements. Au baptême, en effet, l'Esprit est déjà donné : « L'incorporation au Christ et à l'Église fait participer le baptisé à la vie même de Dieu Père, Fils et Esprit. Le baptisé est alors habité par la grâce sanctifiante, don de l'Esprit Saint. (...) Par le baptême, le baptisé participe au mystère du Christ (Rm 6,4-5). Il devient fils de Dieu. "L'Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur; c'est un Esprit qui fait de vous des fils; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l'appelant: "Abba !". C'est donc l'Esprit Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu" (Rm 8,15-16) » (Catéchisme des Évêques de France, p. 244). Mais comment ne pas voir dans le don de l'Esprit à la confirmation une répétition du don de l'Esprit au baptême?

On peut se représenter le lien existant entre baptême et confirmation à partir de celui entre Pâques et Pentecôte : « Le don de l'Esprit à la confirmation est, comme dans le baptême, un fruit direct de l'événement pascal (Jn 20,21-22). Néanmoins les Actes des apôtres relatent une venue de l'Esprit tout à fait décisive cinquante jours après Pâques, au jour de la Pentecôte (Ac 2,1-41). C'est alors que se manifestent les fruits extraordinaires du don de l'Esprit. (...) La confirmation est la Pentecôte de ceux qui sont entrés par le baptême dans la Pâque du Christ. L'unité de l'initiation chrétienne est manifestée dans la célébration de la confirmation par le renouvellement de la profession de foi baptismale et de la renonciation au péché. La confirmation communique aux confirmands l’Esprit de Pentecôte » (id. p. 247). La confirmation complète ainsi « l'ensemble des "sacrements de l'initiation chrétienne", dont l'unité doit être sauvegardée » (Catéchisme de l'Église Catholique, p. 277).

On assiste, depuis le début des années 1980, à un renouveau de la théologie de l'Esprit Saint. L'émergence des mouvements charismatiques a rendu attentif à la dimension « spirituelle » de la vie de foi du chrétien, trop longtemps centrée unilatéralement sur le Christ. L'ouverture œcuménique a, de son côté, permis de mieux connaître la richesse pneumatologique de la théologie orientale. Le moment n'est-il pas venu de mieux tenir compte de ce regain d'actualité de la réflexion sur l'Esprit Saint, particulièrement quand nous réfléchissons au sens de la confirmation ? Je me permets ici d'ébaucher quelques convictions simples qui, d'ailleurs, concernent autant la confirmation en particulier que l'ensemble de l'initiation chrétienne. Elles sont relatives au rôle de l'Esprit Saint dans la vie du chrétien et les sacrements, à l'espérance chrétienne et à l'importance de la communauté ecclésiale.

 

Dimensions de l’initiation chrétienne et de la confirmation en particulier

1) Le rôle de l’Esprit-Saint

Les textes bibliques et patristiques le montrent amplement: l'Esprit est communiqué au baptême. S. Paul l'interprète comme la source même de notre confession de foi et de notre filiation divine. Pour S. Luc le don de l'Esprit est un événement eschatologique, car l'Esprit opère lui-même l'annonce prophétique de l'Évangile. S. Jean l'envisage comme le principe de la nouvelle naissance et le garant de la fidélité des disciples après le départ de Jésus. Chez les Pères, l'Esprit joue également un rôle capital puisque son don est signifié dans les trois rites majeurs de l'eau, de l'onction d'huile et de l'imposition de la main.

L'Esprit n'a donc pas un rôle d'appoint. Au contraire il est celui sans lequel rien n'existe. Si sa place est essentielle dans le mystère de la foi, comment ne pas la lui reconnaître aussi dans la célébration de l'initiation chrétienne ? Par lui la vie chrétienne toute entière devient action de grâce. Ce n'est d'ailleurs que dans l'Esprit que nous pouvons appeler Dieu du nom de « Père ». C'est aussi l'Esprit qui nous pousse à être témoins de l'Évangile, comme dans les Actes des Apôtres il a poussé les disciples à porter l'Évangile à travers le monde et à accueillir les nations païennes dans l'Église. L'Esprit suscite dans le cœur du disciple le dynamisme missionnaire, qui est le moteur du progrès de l'évangélisation. Il arrive aujourd'hui que la catéchèse de la confirmation insiste trop unilatéralement sur l'engagement et la mission du confirmé. Mener ce dernier à la source de tout engagement missionnaire, à l'Esprit de Dieu, apparaît alors comme un rééquilibrage nécessaire.

2) L'espérance chrétienne

Si l'Esprit pousse les barrières de la peur, s'il arrache aux sécurités, s'il appelle à l'évangélisation, c'est parce que l'Église qu'il anime est une communauté en marche, une communauté eschatologique. Les sacrements, en particulier ceux de l'initiation, jalonnent cette route et inaugurent l'avenir ouvert. Dans les Actes, le don de l'Esprit apparaît comme un événement eschatologique qui accompagne toutes les étapes de l'évangélisation. La communauté ainsi que chaque baptisé sont donc tournes vers l'accomplissement futur, dans l'attente de ce que Celui qui a commencé son œuvre l'achève.

Rien n'est plus opposé à l'Esprit du baptême que le blocage sur le passé et le présent ou le repli sur soi. Suscite par l'Esprit, le baptisé travaille au grand passage de l'humanité et de l'univers vers Dieu, accompli dans le Christ. Il vit ainsi déjà dans l'avenir de Dieu, dont il attend activement la manifestation définitive. C'est le sens de la formule d'Ambroise de Milan: « Deviens ce que tu es ». Le baptême dévoile une identité nouvelle qui est un don de Dieu. Mais cette identité nouvelle n'est rien si elle ne grandit et ne fait grandir l'Église. Le baptême n'est donc pas accompli au jour de sa célébration, mais au terme de la vie du baptisé. Le premier sacrement est le principe d'un dynamisme essentiel pour une vie d'évangélisation. C'est pourquoi baptême et confirmation ne sont conférés qu'une fois. L'activité des autres sacrements se déploie en référence à eux.

3) La communauté ecclésiale

Dans la pratique primitive du baptême ainsi que dans son interprétation par Paul et Luc, la dimension communautaire de la célébration baptismale est présente. S. Luc accorde même une importance particulière à l'aspect de rentrée dans la communauté. La fonction première de toute initiation est d'ailleurs d'agréger à une communauté de nouveaux membres. A l'époque patristique, la présence de la communauté est particulièrement soulignée au début et à la fin de l'initiation chrétienne, par les rites d'accueil lors de l'entrée en catéchuménat et par la réception des nouveaux baptisés dans l'assemblée eucharistique. Mais tout au long de la formation, la communauté chrétienne exerce une présence active par ses divers ministères et dans l'organisation du catéchuménat.

Mais la dimension ecclésiale du baptême ne consiste pas seulement en une entrée dans l'Église. Celle-ci ne peut pas non plus se satisfaire d'une fonction d'accueil comme l'accueil d'une mère, dans la famille ou dans la maison. Il est certes bon de partager en frères la mémoire de la foi pour en vivre et espérer ensemble. Mais cela ne suffit pas. L'Église, animée par l'Esprit et ouverte sur l'espérance, doit aussi se mettre en mouvement. Pour être fidèle au baptême de ses enfants, elle ne peut s'installer dans une attente passive, mais doit prendre à son compte, pour en vivre, le mouvement du baptême, le grand passage de la mort à la vie, de l'ancien monde au nouveau. Faute de reconnaître sa vocation prophétique et d'en vivre, elle préparerait des désillusions chez les nouveaux baptisés.

Éléments pour une théologie de la confirmation

La présence de l'Esprit Saint, déjà sensible dans l'acte baptismal, trouve dans la confirmation sa pleine mesure. Voyons successivement l'agencement du sens des rites et le rapport entre baptême et confirmation.

1) Le sens des rites

Au baptême l'Esprit est attesté dans la formule trinitaire du rite d'eau. C'est ainsi au nom de l'Esprit, comme au nom du Père et du Fils, que le baptisé renaît. L'Esprit est actif dans l'acte trinitaire de Dieu qui fait passer le baptisé à la vie nouvelle. Vient ensuite, dans le rituel occidental, la première onction d'huile qui fait encore partie de la célébration du baptême. Le baptisé est marqué de l'huile sainte pour qu'il demeure « membre du Corps du Christ », prêtre, prophète et roi. La référence à l'Esprit n'est pas explicite. La formule indique plutôt que le baptisé est oint comme le Christ pour être uni à lui. Mais la première onction post-baptismale conduit à la seconde, celle de la confirmation où l'Esprit est donné au confirmant !: « N., sois marqué de l'Esprit Saint, le don de Dieu ».

Sans doute ne faut-il pas voir dans ces deux rites un doublet, mais une complémentarité et une réciprocité : être baptisé dans le Christ appelle la confirmation par l'Esprit; on est confirmé par l'Esprit parce qu'on est baptisé dans le Christ. Il ne faut donc pas séparer l'Esprit et le Christ. Une telle précision n'a rien d'un artifice théologique. Elle rappelle au contraire le nécessaire équilibre pour la vie du chrétien, entre l'enracinement - l'incarnation - dans les dimensions concrètes de l'existence et l'utopie d'un avenir à construire par la force de l'Esprit.

2) Le don de l'Esprit dans le baptême et la confirmation

Une autre approche du don de l'Esprit peut être envisagée en fonction de ce qu'est le sacrement du baptême. Ce sens n'est pas étranger à la confirmation mais se trouve en réalité par là « confirmé ». Par le baptême - et plus tard la confirmation -Dieu révèle l'identité et le rôle de l'Esprit dans le monde et dans l'Église. Le baptême signifie que Dieu nous ouvre l'avenir d'une espérance. Pour le baptisé, cela veut dire qu'il entre dans cette espérance. Être baptisé dans l'Esprit signifie donc que l'Esprit est engagé dans le baptême comme l'Esprit d'un avenir ultime qui dynamise nos projets quotidiens et nos fidélités. Cet engagement de l'Esprit lors du baptême est confirmé au deuxième sacrement de l'initiation. Le chrétien est alors invité à célébrer dans le sacrement les nouveaux progrès de la vie dans l'Esprit déjà accomplis et encore à venir. La confirmation n'ajoute rien au baptême, elle déploie et prolonge sa signification pour l’aujourd'hui du croyant. Elle actualise le baptême et ainsi le porte à son terme.

 

Simon Knaebel
Faculté de Théologie Catholique, Strasbourg

 
     
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Assises de la Confirmation - Eglise catholique d'Alsace